Comme leurs habitants les villes ont un cœur, et comme les meilleurs d’entre eux, certaines ont même du cœur.
Le pouls de Meung, c’est en son Martroi qu’on le prend. Il y a bien des façons d’aborder une place : on peut en admirer le dessin, les façades et leurs couleurs, les composantes architecturales, les volumes ou les surfaces. Ici, comme sur les plus belles piazze de Lombardie, c’est l’échancrure du ciel qui retient l’attention : le tracé en fascine d’emblée, et réveille de très profonds souvenirs. De leur bâton sacré, le lituus, les anciens auspices venus d’Etrurie délimitaient dans l’espace un secteur augural où observer le vol des oiseaux, et interpréter la volonté des dieux : ils l’appelaient le templum, un mot apparenté au terme grec signifiant « couper ».
Voyez donc en ce temple aérien se déployer la merveille d’une parfaite découpe « par-dessus le toit », comme dit Verlaine, contemplez le savant décrochage des faîtes, la tranquille assurance de l’exceptionnel clocher de pierre, sûr de sa masse puissante et dédaignant l’arrogance de la flèche pithivérienne, les frondaisons du parc épiscopal dominées par l’antique tour de Manassès : et dans cette portion si singulière du ciel de Loire, laissez-vous enchanter par les jeux de lumière, les acrobaties des corneilles et les arabesques des nuées, à nulle autre pareilles…
Ecrin magique, vestibule sacré, captivante invite à l’élévation spirituelle, pause initiatique avant l’ascension vers le château-Janus aux deux visages – c’est le prélude baroque par excellence !
Par Alain Le Gallo